Rencontre avec Laurent Gaspard, le distillateur de la Distillerie du Petit Grain : une histoire de Passion et d’artisanat.

Rencontre avec Laurent Gaspard, le distillateur de la Distillerie du Petit Grain : une histoire de Passion et d’artisanat.

Bonjour Laurent. Pourrais-tu te présenter brièvement pour les personnes qui ne te connaissent pas ?

"Depuis 2008, je distille avec le désir d’obtenir des eaux-de-vie locales, enracinées dans le Minervois où je vis, mais en visant des standards de qualité qui sont plutôt ceux des vins d’excellence que des alcools français."

 

 

Peux-tu nous raconter l'histoire de la Distillerie du Petit Grain ?

"L’idée est apparue en réponse aux paysages du Minervois. Que faire quand on aime un lieu ? Comment répondre aux affects qu’il met en œuvre ? Comment transformer en énergie ce que l’on aime ? Et puis j’ai été frappé du fait que les Français ignorent la tradition de la « grappa », aromatique et liée à un terroir, puisque chez nous le « marc » reste globalement un résidu de vinification, assez lourd et qui demande du bois pour l’amadouer. Vivant dans un lieu où le muscat – qui est un très beau cépage de distillation – n’était pas distillé, j’ai formé le projet de le distiller, avec l’aide de ma compagne. Mes amis, qui ont soutenu le projet dès le début, ont eu une part décisive pour penser les alcools élaborés, pour les juger, pour mettre en place les nouveaux projets. Ainsi, la distillerie est à la fois une histoire de paysage, d’amour et d’amitiés."

 

 

Qu'est-ce qui vous a inspiré, toi et Patricia, à vous lancer dans la production de spiritueux ?

"Je crois avoir répondu dans la précédente question. J’ajoute quand même que j’aimais que la distillation soit une activité ancienne, presque intemporelle, en tout cas pas moderne, je la voyais marginale. Je m’imaginais me mettre à côté de la marche du temps. Je me suis bien trompé, avec le succès actuel des distilleries qui semble procéder de celui des brasseries."

La belle garrigue à proximité de la Distillerie

Quelles sont les matières premières que vous utilisez pour créer vos produits ? Comment les choisissez-vous ?

"Les matières premières sont d’origine biologique, par principe, et le plus possible prélevées autour du village ou dans ses environs les plus proches. Il faut aussi noter que nous ne faisons rien pousser, nous ne lançons aucune culture : nous dialoguons avec ce qui existe, avec le souci de prendre le plus pur et le plus aromatique."

 

 

Peux-tu nous expliquer le processus de distillation que tu utilises pour créer les produits de la Distillerie du Petit Grain (dans la mesure du possible, en respectant le secret professionnel) ?

"Difficile d’expliquer le processus car, le secret professionnel mis à part, qui a son importance, tous les fruits et tous les distillats impliquent des façons de procéder différentes. À chaque fruit son traitement. Car on ne traite pas une poire comme une cerise, une cerise comme une framboise, une framboise comme un cédrat, etc. Les fruits ont des chairs différentes, des parties qui sont parfois indésirables, demandent des macérations ou des vinifications, dont les longueurs sont toujours variables non seulement en fonction du fruit mais des températures qu’il faut au moment où ils arrivent à la distillerie."

 

 

Quelles sont les différentes saveurs et caractéristiques que vous recherchez dans vos spiritueux ? Comment parvenez vous à les obtenir ?

"Pour moi, un alcool ne doit pas être brûlant. Tous comme les vins ne doivent pas être dominés par l’alcool. C’est pareil. Cela demande pas mal de travail pour éviter cela, car naturellement on est sur des boissons qui titrent chez moi plus de 45 degrés ; mais c’est possible, si on joue sur tous les leviers.

Autre caractéristique nécessaire des alcools, que leurs parfums soient vifs (absolument pas cuits, éteints). Enfin, qu’ils soient complexes, au nez comme en bouche : que les molécules aromatiques fassent la fête dans le verre, dévoilent différentes couches et différents espaces. Ce sont là mes critères primordiaux."

Sélection minutieuse de matières premières (citron caviar)

 

Avec un marché des spiritueux en plein essor où de nouvelles distilleries et produits émergent quotidiennement, et où les grandes industries de spiritueux lancent des produits limités visant une clientèle très aisée, on parle de plus en plus de "premiumisation des spiritueux". Quelle est ta perception de cette tendance ?

"C’est une tendance nécessaire, il ne peut y avoir d’alcool que premium. On boit peu d’alcool, il faut que cela soit une parenthèse enchantée, ça n’a pas de sens de s’assommer sans subtilité, à moindre coût et moindre qualité. Historiquement, nous n’en sommes plus là, les politiques de santé publique ont eu du bon.

Il faut ajouter qu’élaborer un grand alcool coûte cher, non seulement en matières premières, mais en taxes. Vouloir faire des alcools bon marché, des industriels peuvent le faire, ils en sont même seuls capables, sans âme mais sans reproche. Ils ont les bons outils, et ils peuvent jouer sur ce que l’on appelle les « économies d’échelle », qui sont de fait décisives. Produire en grande quantité, on le sait, permet de baisser les frais de fabrication.

En fait, je ne le lis pas, mais je trouve qu’il faut le dire : les industriels sont bien placés, à la fois pour faire du bas de gamme et pour faire du premium, ils ont les outils industriels et marketing pour ça. Simplement, ils ont un premium stéréotypé, sans vibration, qui doit beaucoup aux sirènes du conditionnement.

Du coup, les distilleries artisanales doivent selon moi plutôt viser l’excellence, une sorte de politique des auteurs, et se dévouer à la poursuite de la singularité et de l’émotion."

 

À la suite de ta réponse, une question me vient à l'esprit. Quelle est ton approche en matière d'innovation pour votre gamme de spiritueux ?

 

"Toutes les innovations doivent être invitées, car la distillation traditionnelle est une activité destructrice : fondée sur l’évaporation produite par la chaleur, la distillation peut très vite détruire les parfums, - autrement dit transformer le parfum du fruit en vieille tisane. Des innovations arrivent régulièrement sur le marché, il faut y être sensible, elles peuvent aider. Pour ma part, je rêve de cryogénisation, qui sépare l’alcool de l’eau par la seule action du froid. Malheureusement, cela impliquerait un climat fort différent du climat méditerranéen, ou des machines très puissantes que dont je peux seulement rêver pour l’instant."

 

 

Dernière question, je me rappelle qu’un jour tu m’as dit que tu ne considérais pas la Distillerie du Petit Grain comme une micro-distillerie. Peux-tu m’expliquer pourquoi ?

 

"Je ne me souviens pas de cette déclaration, car la distillerie est bien une micro-distillerie au sens économique. C’est peut-être que je sentais qu’il y a derrière cette appellation une idée de distillation bienheureuse, la croyance en une pure émanation des parfums et des humeurs. Les choses sont plus compliquées que cela, malheureusement ou heureusement. Dans une micro-distillerie, il faut être encore plus rigoureux que dans une grande."

 

Merci, Laurent, pour avoir consacré du temps et partagé ta vision de la distillerie artisanale avec nous.

 

Le Gin avec les agrumes de Christophe Comes

 

Nous sommes fières de proposer sur notre site, la Crypte du Vin, différents produits de la Distillerie du Petit Grain

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